Cela faisait un moment qu'on avait ce projet : un tour de Belgique passant par les six abbayes trappistes pour goûter sur place leurs délicieuses spécialités. Je ne parle pas de leurs fromages, tous inspirés du port-salut et sans intérêt, mais de leurs bières !
Départ le 11 septembre 2018 à bord de l'R6 n°6 toujours fidèle au poste. Nous habitons à 27 km de la frontière, nous entrons donc rapidement en Belgique où nous pouvons à nouveau rouler à 90 ! On retrouve aussi les routes en béton, une spécialité belge, et le passage d'une plaque à l'autre donne l'impression de voyager en chemin de fer. Nous laissons le Borinage (le bassin minier) sur notre droite et prenons l'autoroute pour nous rendre plus vite de l'autre côté de la métropole Lille-Roubaix-Tourcoing-Courtrai. A deux reprises nous parviennent des odeurs de frites, jusque sur l'autoroute, faut le faire ! Peu après Tournai, nous quittons la Wallonie pour entrer en Flandre, stupéfaction, ici la vitesse sur routes est limitée à 70 ! L'antagonisme entre Flamands et Wallons s'exprime ainsi jusque dans le code de la route !
Nous quittons l'autoroute pour manger à Ypres. La ville a été entièrement détruite pendant la première guerre mondiale, et reconstruite quasi à l'identique ! Il est regrettable qu'on n'ait pas eu ce soucis après la seconde guerre : quand on voit à quoi ressemble Maubeuge, honte à son rebâtisseur !
Première abbaye trappiste du voyage : Westvleteren. Les bouteilles de bière du même nom possèdent la double originalité de ne pas comporter d'étiquettes et d'être interdites à la vente et à la consommation ailleurs que sur place. Les moines d'ici produisent trois bières, la blonde qu'on a trouvé plutôt classique, la brune "8" qu'on a bien aimé, et la brune "12" très forte en alcool.
En face de chaque abbaye trappiste se trouve un café, propriété de l'abbaye, permettant de consommer et acheter la bière et les verres.
Nous parcourons les polders, terres gagnées sur la mer sillonnées de canaux de drainage, et atteignons la mer du Nord à la Panne. De là, nous parcourons la plage à pieds le long des dunes jusque la borne frontière, le point précis le plus occidental de la Belgique, et le plus septentrional de France. J'avais ensuite dans l'idée de parcourir les 64 km de côte belge jusque l'autre frontière, celle des Pays-Bas, mais je déchante bien vite : au bout de 12 km nous n'avons rien vu d'autre que des immeubles en béton. La spéculation immobilière a bétonné la quasi totalité du littoral, au mépris complet du paysage, et à Newport nous reprenons l'autoroute jusque Bruges, la "Venise" flamande. Dîner et chambre d'hôtes à Damme, le long d'un canal, où nous avons la chance de dormir dans un lit en alcôve, ambiance cocon, on a adoré !
Nous entrons en Belgique !
Nos amis belges sont friands de ce genre de maison...
La ville d'Ypres, au style flamand très marqué
Les halles, le bâtiment emblématique d'Ypres, reconstruites à l'identique après leur destruction en 14-18 !
L'abbaye de Westvleteren
Deux des trois Westvleteren
Presque toutes les vaches belges ont le gêne culard... et ne vêlent donc que par césarienne. Ah, le productivisme...
Sur une route en béton à travers les watergangs, nous traversons les polders, le vent souffle !
Le point le plus à l'ouest du pays, la frontière française passe dans la trouée dans les dunes. La Belgique est au premier plan
Me voilà sur les rails, c'était bien la peine de prendre des vacances ! La mer est juste derrière les immeubles de gauche
Moulins à vent et canaux, c'est la Flandre
Le lendemain matin, cap au nord pour rejoindre la côte à Knokke, dernière ville avant la Hollande, et là encore le front de mer n'est qu'un alignement d'immeubles en béton. Pas de regrets, on taille à travers le plat pays cher à Brel, vaste plaine où sont nées les techniques agricoles modernes (assolement, amendements...), on file direction Anvers dont j'espère voir le port immense. A cet effet, j'avais repéré sur la carte un point de vue à Doel, à l'extrémité nord du port. Arrivés dans cette localité, stupeur, toutes les maisons sont abandonnées, murées et taguées, pas âme qui vive, l'atmosphère est si glauque qu'on s'attend plus à voir surgir un squelette qu'un vivant ! Dans cet univers de fin du monde, nous tombons sur une maison habitée, avec rideaux aux fenêtres et auto devant. Renseignement pris, pour satisfaire un projet d'expansion, le port d'Anvers a lancé une procédure d'expropriation pour la totalité du village, dont une quinzaine d'habitants refusent de partir et ont lancé à leur tour une action en justice bloquant la destruction du village. Faut quand-même avoir le moral pour rester là, dans un patelin fantôme entièrement tagué coincé entre les docks d'un côté et une centrale nucléaire de l'autre !
Nous franchissons l'Escaut (qui s'appelle Schelde dans les Flandres) dans le port, au milieu d'un ballet incessant de camions venus charger les containers arrivés d'Asie en cargos. Je n'ai toujours pas compris en quoi ces importations générant une balance commerciale dans le rouge étaient préférables au maintien de nos usines...
A quelques kilomètres d'Anvers se dresse l'abbaye de Westmalle, seconde dégustation ! L'abbaye produit deux bières, la "double" (une brune) et la "triple" (une blonde assez amère), toutes les deux bien bonnes. Nous sommes à 30 bornes du point le plus au nord de Belgique, je sors donc la carte Michelin n°1 (ancienne numérotation) que j'utilise pour la première fois, n'étant jamais monté si "haut", et on parvient à la frontière à Dreef. Je me rends alors compte que nous ne sommes qu'à une douzaine de kilomètres de Zundert, où est brassée une des deux trappistes hollandaises. Nous nous y rendons, ce qui nous donne l'occasion de rouler un peu sur les routes des Pays-Bas. Par contre on n'aura pas le temps d'aller à Tilburg, où est brassée la Trappe, l'autre bière hollandaise. Fin de l'étape à Overpelt, dans une chambre d'hôtes plutôt médiocre.
Nous longeons la côte, côté mer c'est exactement pareil
La mer du Nord sous un ciel bas
Allez, jouons ! Ceci est :
A : un centre de recherche spatiale nucléaire de la NASA
B : un multipôle médical
C : un ancien bunker reconverti en hangar
D : une habitation belge
Le lugubre village de Doel (on prononce Doul)
Le port d'Anvers
Oui j'y suis allé, et alors ?
L'abbaye de Westmalle
Les deux Westmalle
Le point le plus au nord de Belgique, on voit la borne frontière avec la Hollande dans le jardin d'un particulier, à gauche
Le 13 au matin, nous nous rendons à l'abbaye toute proche, celle d'Achel, dont nous avons goûté les bières la veille au soir au restaurant. Il existe deux Achel, titrant toutes deux 8° et assez proches en goût, une brune et une blonde. Assez moyennes... On reprend bien vite l'autoroute, la région n'étant pas spécialement jolie. Nous passons pas loin de la maudite ville de Maastricht et sommes de retour en Wallonie où nous allons pouvoir à nouveau rouler à des vitesses supersoniques !
Repas de midi dans la jolie ville d'Eupen, dans un petit coin de Belgique où la langue parlée est l'allemand ! A partir d'Eupen, le paysage change radicalement, adieu plat pays, bonjour collines et forêts ardennaises ! Le point culminant de Belgique est dans ces parages, c'est le signal de Botrange (694 m) que nous atteignons dans la brume. C'est le pays des fagnes, composé de forêts, de tourbières et de marais. Ici, la nature est reine. Nous poussons jusque le point le plus oriental de Belgique, à Kehr (frontière allemande), puis nous redescendons vers le sud-ouest, longeant bientôt le Luxembourg. A Martelange où la route borde un moment la frontière grand-ducale, une dizaine de stations d'essence s'alignent sur le trottoir luxembourgeois !
Fin de l'étape près de Virton et dîner dans une excellente auberge. Les prix sont souvent plus élevés dans les restos belges que dans les français, et on ne sert pas de carafe d'eau. Les frites sont bien sûr omniprésentes, de même que les bières d'abbayes. En plats, on retrouve souvent les moules, les fricadelles, les croquettes de crevettes, les boulettes de viande, la carbonnade et, dans les Flandres, le waterzooi.
L'abbaye d'Achel, sur la frontière (celle-ci est dessinée sur la route)
Les deux Achel
La jolie petite ville d'Eupen
Paysage de fagnes dans le brouillard
Je suis au sommet de la Belgique (bon d'accord, 700 m ce n'est pas l'Everest...)
Le point le plus à l'est de Belgique, on est sur la frontière allemande (borne avec "D" près de la plaque d'égout)
Prisonnière de ce garage, la Floride semble envier l'R6 de vadrouiller en liberté
Paysage typique de l'Ardenne belge
La Roche-en-Ardenne
La frontière avec le Luxembourg à Martelange
On arrive au 14, dernier jour du trajet, où il nous faudra goûter l'Orval, les Rochefort et les Chimay. La journée sera rude ! Mais pour commencer, on descend au point le plus méridional de Belgique, un pré en bord de rivière près de Torgny, avant de faire une pause à l'abbaye d'Orval. J'aime beaucoup ce coin, analogue à la Lorraine voisine. Nous goûtons l'Orval vert, une bière légère et fruitée réservée à la consommation des moines, aussi savoureuse que l'Orval classique. Nous parcourons ensuite la superbe vallée de la Semois, que je recommande à tous les baroudeurs de passage dans le coin. On arrive bientôt à Rochefort, charmante bourgade où nous comparons les trois bières brunes locales : la 6 qui a ma préférence, la 8 et la 10 , plus lourdes et fortes en alcool, la 10 étant la plus forte des trappistes belges avec 11,3°. Nous coupons par Givet, soit sept kilomètres en France, pour rejoindre Chimay, sixième et dernière abbaye belge du voyage ! A l'auberge voisine, c'est quatre bières qu'il nous faut goûter. Quatre galopins à deux, ça ne fait jamais qu'un verre normal par personne notez bien. La "dorée" est une bière de table, légère mais avec du goût. La "rouge" est une brune de 7°, la "blanche" une triple corsée et amère de 8° et la "bleue" une brune de 9°.
Retour en France à 16 km de notre entrée en Belgique quatre jours avant, on peut dire qu'on a fait le tour du pays ! Nous avons parcouru toutes les provinces, à l'exception du Brabant, la seule non frontalière. Total 1337 km, une belle balade !
Le point le plus sud du pays se trouve dans les orties, en bas de ce pré bordant la Chiers
L'R6 au même endroit
L'abbaye d'Orval
L'Orval (j'ai appris à l'occasion qu'on disait UN Orval !)
Sapins et pâturages sur le plateau ardennais
L'abbaye de Rochefort
Les trois Rochefort : la 6, la 8 et la 10
C'est déjà rare en France, mais en Belgique c'est carrément exceptionnel : une maison ayant gardé son cachet intact ! Ici à Bourlers, près de Chimay
L'abbaye de Scourmont à Chimay
Les quatre Chimay : la Dorée, la Rouge, la Blanche ou triple, et la Bleue
Toutes les trappistes belges : les trois Westvleteren, les deux Westmalle, les deux Achel, l'Orval, les trois Rochefort et les quatre Chimay :
Et pour être complet, aux six abbayes précédentes, ajoutons les autres trappistes : la Trappe (Pays-Bas), la Zundert (Pays-Bas), la Gregorius (Autriche), la Tre Fontane (Italie) et la Spencer (Etats-Unis !). Les quatre dernières ont obtenu le label "Trappist" récemment.
Désolé d'avoir beaucoup parlé de bières, mais c'était le fil conducteur de notre circuit. Sur ce, à la vôtre !